« Je l'ai vu arrivé comme si de rien n'était. Il a passé le seuil de la porte plus tôt que l'heure à laquelle je m'attendais.
Il portait un long manteau, une sorte de cape qui flottait négligemment derrière lui. Il était vêtu de couleurs sombres
. Je ne l'aurai pas remarqué si je ne l'attendais pas. Mais je l'ai vu. Il semblait chercher quelque chose des yeux. Quelqu'un. Et j'ai compris que c'était moi qu'il cherchait. Il a croisé mon regard, et il a sourit. Ça m'a réchauffé le cœur ce sourire et c'était contagieux. Ce sourire là, ça voulait dire qu'il m'avait reconnue, qu'il m'avait attendue, et peut-être même qu'il était content, soulagé de me voir. C'est une chose que j'avais oubliée. J'existais pour lui. Et son sourire c'était le plus beau des accueils.
Il a marché jusqu ‘à ma table et s'est assis en face de moi. Oh mon dieu, son sourire !
Je me suis sentie bizarre. Vraiment bizarre.
Il y a des gens qui vous désarçonnent. Je savais bien que c'était l'effet que je lui avais fait les soirs précédents. Il faut dire qu'il avait peut-être un peu bu. Mais je l'avais désarçonné. A présent c'était à mon tour de choir. Et avec son putain de sourire d'ange, il me jetait littéralement au sol.
Pourtant je me sentais bien. Il me rassurait. Il était là pour me rappeler que j'étais utile à quelque chose finalement. Et quand il s'est assis sur la chaise là, tout près, juste en face et que je n'ai plus eu à  lever les yeux pour le regarder, j'ai sentis le monde qui changeait de sens autour de moi
. Comme si le fait de n'être plus seule remettait les choses à l'endroit. Il était là. Et j'allais enfin savoir, enfin comprendre.
Il a posé ses deux mains sur la table en conservant son sourire
lumineux. Il brillait. Comment dire… il avait l'air heureux…
 « Bonsoir mademoiselle. qu'il m'a lancé,
_Bonsoir. »
Et je me suis mise à sourire comme une bienheureuse. Il était là, il était là !
 Arrête un peu de sourire aussi niaisement Lou, c'est pas le moment de perdre le notion du temps, des choses. Garde les pieds sur terre et les yeux dans les siens. Oh le regard qu'il avait ! Même ses yeux semblaient me sourire.
Et d'un coup.
Je l'ai trouvé beau.

« Toujours à boire votre grenadine dégueulasse ?
_Vous vous en souvenez ?
_ba… faut dire que l'alcool efface pas tout quand même. Jme souviens que j'avais trop bu, que je m'obstinais à croire que j'étais à jeun, que
vous m'avez souris. Et puis ensuite j'ai parlé, j'ai raconté je sais plus trop quoi. Là jdois vous dire que jme souviens pas de grand-chose. Mais vous vous êtes levée, vous avez crié, ça m'a fait mal à la tête d'ailleurs, et puis ensuite vous êtes partie en courant. »
Il avait levé les yeux au ciel avec un autre de ses sourires, amusé cette fois. J'ai bu une somptueuse gorgée de mon liquide rose et
je me suis sentie rire.
 « Oui, j'ai dit, et je suppose que vous voulez savoir pourquoi ?
_Seulement si vous m'y autoriser. Mais avant il me faut votre prénom ! 
_
Appelez moi Lou.
_Lou c'est votre prénom ?
_Mon prénom c'est Louise.
_Je vous appellerait Lou alors. »
Yann l'aurait apprécié ce gar-là. Mais Yann n'était pas là. Et j'ai sentis mon sourire se ternir en même temps que le passé revenait me serrer la gorge.
 « Je vous ai vexée ?
_Non non, c'est rien. Lou, ça me va.
_Alors expliquez moi, pourquoi est-ce que vous vous êtes mise à me crier dessus Lou, et rappeler moi de quoi on parlait.
_On parlait de Claudia.
_Ah oui putain ! Claudia. Et c'est ce prénom là qui vous a mise en rogne non ?
_En rogne… Je crois pas que ce soit le bon terme. Mais disons que ça m'a surprise.
_ Et pourquoi ?
_Parce que je rechercher une fille du nom de Claudia.
_
J'en connais qu'une mais je suis pas sure que ce soit celle que vous cherchez vous savez…
_Il parait que le monde est petit.
_Il parait oui. »

 Il a commandé une bière et un steak frite. Ensuite il m'a regardée. J'ai laissé planer le silence et j'ai préféré ne pas partager ce regard. J'ai regardé par la fenêtre. Dehors il y avait un peu de brume et un réverbère. La chaleur humaine faisait contraste avec le froid de la rue. Sur la vitre il y avait de la buée. J'y ai dessiné une fleur. Ça m'a fait sourire. Je me trouvais ridicule. J'avais pas grandit en vrai. Je tournais sur moi-même toute seule dans un salon pour avoir la tête qui tourne et je dessinais sur la buée des vitres. Stupide Lou. Mais j'étais bien. Le café se vidait autour de nous, et l'homme qui me détaillait sur la chaise d'en face semblait être un ami. L'homme sur la chaise d'en face. Je lui avait même pas demandé son prénom tiens ! J'allais le faire quand la serveuse est venue déposer sa commande sur la table.
J'ai reposé mes yeux sur lui. Il a sourit et a ouvert la bouche juste après.
 « Ne vous inquiétez pas, je prendrai pas plus d'une bière ! a-t il dit,  Ensuite j'essaierai la grenadine comme vous…Même si j'aime pas ça moi non plus. »
J'ai ris
, juste quelques secondes, mais c'était bon.
 « Je vous force à rien, et puis vous parlez plus facilement quand vous avez bu. J'ai dit,
Vous faites pas de bile pour ça Lou, je suis pas venu pour me bourrer la gueule ni pour oublier quoique se soit ce soir. Je suis venu vous voir, pour vous parler. Ou plutôt pour que vous me parliez. Jcrois avoir le droit à quelques explications quand même. Moi
j'avais l'excuse de l'alcool ! »

Et il souriait. Mon Dieu comme il souriait ! J'étais bien, tellement bien ! J'avais l'impression de flotter, comme si ce que je vivais là n'était pas réel. Et il prononçait mon prénom.
  Pour les autres gens nous étions deux personnes tout à fait normales, nous menions une conversation normale en consommant des boissons normales. Mais pour moi c'était magique.
Même Yann m'aurait approuvée.
Une conversation.
 J'en avais pas tenues depuis pas mal de temps. Et cet homme-là avait l'air près pour que je lui parle. Pour me parler. Cette soirée ne faisait que commencer que je la savourais déjà.

 « Très bien alors heu…ah ! Et vous ? Comment jdois vous appeler ?
_Comment vous m'aviez dit déjà…le tout premier soir… « L'incarnation de la solitude désespérée ? » ou quelque chose comme ça… Personnellement, ça me correspond plus trop là maintenant, alors
appelez moi Franck. C'est mon prénom à moi. Pas de surnom ni rien, je complique pas.
_Parce que moi je complique ? lui ai-je demandé, tout sourire,
_Ah non,
vous enjoliver en raccourcissant, c'est pas pareil.
_C'est pas pareil non. Alors je vous explique ?
_Mais expliquez moi donc ! »