Mardi 25 septembre 2007 à 20:18

Elle a ouvert la bouche, et puis elle m'a tout déballé. Comme ça. Sans introduction. Parce qu'elle ne voulait pas faire de détours inutiles je suppose. Peut-être parce qu'elle voulait en finir. Mais elle a posé son regard sur la table et elle a commencé :
 « J'ai aimé un garçon. Un jeune homme, j'avais environ seize ans, et il s'appelait Yann. Et je l'aime encore je crois. J'en suis pas sure.
Je vais vous vouvoyer pour l'instant Franck, parce que j'arriverais pas à faire autrement de toutes façons. »
Alors elle m'a regardé, m'a sourit tristement, et puis elle a reprit son récit pendant que ses yeux faisaient des allers-retours autour d'elle.
 « Et donc, je l'aimais. Je l'aimais plus que tout. Parce qu'avant qu'il croise ma route, j'étais rien. J'étais juste…malheureuse. Les gens me trouvaient jolie, je le sais bien, j'étais la demoiselle parfaite du petit village. Parce que j'habitais un tout petit village. Et il fallait faire attention vous savez, parce que dans un petit village, tout se sait. Alors j'ai rien dit à Yann sur mon adoption, j'ai rien dit à personne.
Et le problème dans les petits villages Franck, c'est que beaucoup de gens parlent, oui, mais tant d'autres se taisent. Il y a des secrets partout par chez moi. Et ça gâche des vies vous savez…
Mais je mégare.

Alors j'aimais Yann, de tout mon cœur, de tout mon être. Je me donnais à lui parce qu'il était tout ce que j'avais. Il était mon repère, mon refuge, mon bonheur. Dans ses bras c'était l'apothéose, c'était ce qu'il y avait de mieux au monde, et tout le reste c'était trop...difficile.
Mes faux parents c'étaient des salauds Franck, des vrais salauds. J'étais là pour faire joli, pour aider. Pas pour être aimée…enfin, non, j'en sais rien justement. Je voyais pas à quoi je servais. J'avais l'impression d'occuper de la place pour rien, comme si ce monde là c'était pas fait pour moi.
Mais il y avait Yann. Il y avait Yann et puis ça allait mieux. J'avais une raison de sourire. J'ai appris à sourire avec Yann, j'ai appris à rire, à être heureuse. A aimer surtout. »

Et elle souriait, les yeux haut au-dessus de mon front, elle souriait avec ses yeux rouges, et quelques fois sa voix déraillait. Je savais pas encore pourquoi. Mais je trouvais ça beau c'qu'elle me racontait. J'avais l'impression de lire un truc, comme si je regardais un film et qu'elle était le personnage principal. Elle est merveilleuse Lou. Elle met des images dans les yeux quand elle raconte :
 « Je l'aimais partout, de toutes les manières possibles. On dormait à la belle étoile, et je fumais beaucoup. Beaucoup trop. On se vidait des cartouches entières en quelques heures, il me ramassait des fleurs, et me racontait des histoires.
Mais Yann c'était pas un garçon bien Franck, c'est pour ça que j'en suis tombée amoureuse peut-être. Parce que Yann, il a pas eu une vie facile non, sa mère est morte quand il était jeune. Ils disent qu'elle s'est suicidée Franck, mais moi je la connais la vérité, la vérité des petits villages.
Moi je sais que c'est lui qui l'a poussée. »
Elle ne souriait plus. Elle me regardait fixement, les sourcils à demi froncés, ça voulait dire « tu comprends ça ?! » Et malgré ce qu'elle devait penser, oui, je comprenais. Je comprenais très bien. Mais j'ai rien dit, et elle a continué tout seule.


 « Moi je m'en foutais, sa mère elle l'aimait pas, elle voulait sauter dans le vide tu sais, elle voulait mourir à la base. Elle disait que tout était de la faute de Yann, que s'il n'avait pas été là elle aurait été heureuse, elle mentait ! Elle mentait Franck ! C'est juste qu'elle avait dit oui à un beau routier, et ça lui avait fait un bébé dans le ventre. Un bébé qu'elle voulait pas, c'était pas la faute de Yann Franck, mais elle a voulu lui faire croire. Elle l'a jamais aimé comme il fallait. Alors il l'a poussé vous voyez, parce que c'était comme la libérer. Parce qu'il a agit sous une pulsion. Il avait 14ans. Mais il a jamais regretté. Jamais. Et il avait raison.
Après il a été chez sa tante. Mais elle l'aimait pas non plus. J'étais là pour ça, pour l'aimer.
Et après…
Après,  ce sont mes parents qui m'ont brisée, mes parents qui l'ont tué. C'est à cause d'eux.
Nous on était pas des adultes encore, on était des ados presque. On s'aimait à l'envol vous voyez Franck...J'ai jamais voulu être adulte, et j'espère que je le suis toujours pas. Parce que les adultes ils doivent savoir ce qu'ils font, ils doivent être responsables. Ils donnent la vie normalement, il la retire pas.
Sauf que des fois, on se trompe. Et là ils se sont trompés.
On dit que les enfants doivent être la plus grande réussite d'une vie. Moi ils m'ont ratée…
Parce que j'étais à peine majeure qu'ils m'ont mariée de force.
C'était pas tellement l'homme auquel ils me confiaient qui me dérangeait, il était bien lui. Un bon mari, juste comme il faut.
Mais moi celui que j'aimais c'était Yann. Yann et aucun autre. Mais ils m'ont retirée à lui. Ils m'ont forcée à le quitter, j'en ai pleuré pendant des nuits. Et le jour de mon mariage, ma mère m'a accusé d'avoir les yeux trop rouges. Le maquillage n'a pas pu tout cacher. Alors ils ont dit que j'avais tout gâché. Mais ça m'importait pas, ça m'importait plus. Moi je pensais qu'à Yann. A Yann qui était si loin.
Ça me faisait un vide horrible dans le cœur, ça me coupait l'oxygène, ça me sciait les entrailles. Je me sentais creusée par le manque, comme si sans lui, j'allais forcément mourir. Yann c'était tout, mais il n'était plus là. Je savais plus quoi être, alors j'étais plus rien… »

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