Dimanche 2 décembre 2007 à 12:14

Moi je suis partit après elle. Juste après elle. J'ai tout réglé. Et puis jsuis sortit.
Il était bien trop tard. Ou alors bien trop tôt. Mi jour, mi-nuit. Et je sais que c'est environ l'heure à laquelle Claudia sort. C'est environ l'heure à laquelle elle ne brille plus. Le soleil se lève, et comme les vampires, Claudia perd son éclat et sa force à l'heure où l'aube arrive. J'aimerais la voir pourtant. Pourquoi « pourtant » d'ailleurs ? J'aimerais la voir tout court. Parce que je l'aime, et parce que rien que de la voir vivante c'est comme un gage. Un gage de mon existence. La voir et l'aimer c'est me sentir vivant.
Alors je marche, les mains dans les poches et le col remonté. Parce qu'il fait froid, et que le vent griffe mes pommettes. J'ai perdu la notion des saisons. Du temps. De la vie.
Je vais juste chercher Claudia.
Juste pour voir si elle va bien, si elle n'est pas seule, si elle n'est pas triste.
Je ne peux plus m'en sortir tout seul.

Et puis il faut croire que mon horloge interne est bien réglée. Parce qu'elle ferme la porte derrière elle, dans son dos. Et elle garde sa main un instant sur la poignée. La tête baissée. Un ange déchu.
J'ai jamais vraiment aimé cette expression. Parce qu'elle est trop clichée, trop belle pour être réalisable.
Et pourtant, c'était ça. Claudia est loin d'être comme Lou. Claudia a brillé, mais Claudia ne brille plus. Claudia n'a pas d'honneur. Claudia n'a plus d'honneur. On dirait même que Claudia n'est plus personne.
Car si je ne la connaissais pas. Je verrai une belle femme. Rien qu'une belle femme, qui lève le menton en même temps qu'elle encercle son ventre de ses deux bras. Une belle femme qui marche la tête rentrée dans les épaules. Une sorte de belle femme blessée. Avec cette beauté tragique qui fait que nos cœurs se retournent. Une femme posée dans des talons trop hauts.
Mais une femme que j'aime.
Claudia a grandit, elle est devenue. Et je n'étais pas là pour devenir avec elle.
Non, je n'étais pas là. Pas là pour l'aimer.
Et maintenant Franck ?
Maintenant je suis là. Et il faut bien que je l'aime. Il faut bien qu'elle le sache que je l'aime.

Ma veste me semble peser des tonnes sur mes épaules. Un poids immense qui vient m'étouffer.
 « Il faut bien qu'elle le sache que je l'aime » Après tout. Puisque je n'ai plus rien à perdre. Puisqu'elle est tout ce qui me reste, tout ce que j'avais gagné, tout ce qui avait de la valeur. Puisqu'elle est tout ce que j'ai perdu, tout ce que j'ai pu perdre. Elle est mon or ternit. Et je ne peux pas la laisser comme ça. Je ne veux pas que d'autres l'approchent, je ne veux pas qu'elle cueille son bonheur autre part que dans mes bras. Je veux qu'elle reste ici tant que j'y reste. Je ne veux pas la reperdre. Je ne peux pas la reperdre.
C'est quand on est au bord de voir s'en aller les gens qu'on aime qu'on comprend à quel point ils comptent. A quels points ils sont importants. Parce que sans elle je serai à nouveau perdu. Parce qu'il m'en vient les larmes aux yeux à l'idée de la savoir mal.

Alors j'y vais. Oui. Allez Franck. Va, apporte lui.
Elle a froid ma Claudia, elle a froid et elle se meurt. Mon moineau aux ailes abîmées.
Moi je veux que tu t'envoles encore Claudia, mais je en veux pas que tu te plantes, je veux être là pour te rattraper si tu tombes.

Jeudi 22 novembre 2007 à 19:13

Et pour qui tu danses au juste hein ? Dis-moi Claudia ?! Pour qui tu danses ?
Oh ! Je danse pour moi ! Pour sur, je danse pour moi ! Enfin, j'espère…
J'espère sincèrement ne pas me tromper dans mes buts. Oui mais, je sais rien faire d'autre que ça. Danser pour rien, pour moi, danser mal, danser pour la gloire du pêché. Pour rester ce symbole d'inaccessibilité. Je danse pour qui veut, moi je veux, lui il veut. Tout le monde le veut au fond.
Moi je danse pour le monde. Pour ce monde qui ne peut pas me voir, pour ce monde qui ne peut pas me reconnaître, pour ce monde pour qui je n'existe pas.  Je danse pour rien, pour tout, pour eux.
Je danse parce que ça remplie mes poches de billets.
Je danse pour le fric et pour la sueur.
Je danse pour oublier, pour fumer moins, pour ne pas aimer, pour ne pas croire.
Peut-être qu'au fond je danse pour ne pas vivre. Pour ne pas être.

J'aimerai me transformer en œuvre. J'aimerai devenir un objet. Un simple objet, sur d'être utile.
J'aimerai que ma vie appartienne à quelqu'un. J'aimerai ne plus jamais avoir à faire de choix.
Comme ça je vivrais sans en avoir conscience. J'aurai juste à suivre la voie qu'on me montre, j'aurai juste à faire ce qu'on me dit. Sans réfléchir, sans états d'âmes. Sans aucun sentiment. Donc sans aucune douleur.
Appartenir à quelqu'un. Me sentir faible mais incassable. J'aimerai ne plus penser. Ne plus savoir. Ne plus rien entendre. J'aimerai rester cette poupée de cire. J'aimerai rester là à fondre devant leur yeux hagards. N'être rien d'autre qu'une chose agréable à regarder.

Parce que la musique se fait de moins en moins forte. Les lumières se tamisent. Et que suis-je moi ?
Je reste à genoux sur cette scène miniature. Et puis c'est la fin, c'est la nuit.
Et quand la grande lumière blanche se rallume, je ne sais plus quoi être. J'la reconnais même pas cette réalité. Ces tables rondes jonchés de mégots, des traces de verres, des tickets de caisse, cette fille qui passe le balai. Et ce barbu derrière son bar en zinc. Moi je suis à genoux. A genoux au milieu de ce désastre. Ce monde est dévasté. Jsuis qu'un de ces déchets. J'aimerai qu'elle m'emmène dans son sac poubelle comme la cendre et la poussière.
ET puis jme relève. Jme sens comme un patin désarticulé. Jsuis mal foutue. Je tiens à peine debout.
C'est ptêtre ce truc que j'ai pris avant de jouer ma star, c'est ptête la fatigue des mes années, ou alors c'est juste que je dois dormir. Juste que si je ne sers à rien ni à personne le jour, il me faut simplement vivre dans la nuit.
Et toi t'es où Franck ? T'es où Franck ?
J'ai particulièrement besoin de toi là chéri, tu sais hein ? Tu sais, mais t'es pas là. T'es pas là. T'es ni là ni ici. Alors je dois rentrer toute seule ce soir. Sans être pendue au bras d'un bel homme. Sans clope. Parc'que j'ai plus une cigarette.
J'aurai même pas cette petite luciole pendue au bout de mes lèvres.
Et c'est bientôt l'aube. Je n'aime plus le jour depuis qu'il se fait sans toi Franck.

Mardi 20 novembre 2007 à 20:56

Le lendemain je suis revenue. On s'est revu. Et puis on s'est rassis.
Et puis cette fois-ci c'est lui qui m'a tout raconté. Toute son histoire avec sa belle Claudia.
C'est compliqué entre eux deux, et puis en même temps, je trouve ça simple.
Ils se sont trouvés, ils se sont perdus. Et puis ils se retrouvent, mais ils ont changé. C'est tout.
C'est si simple.
Et il a terminé son récit par moi. Disant que j'étais son seul salut, ou quelque chose comme ça. Comme si moi j'avais toutes les réponses, toutes les solutions. Il veut mon aide, il veut que je le guide, que je sois sa lumière. Il m'a présentée comme une sorte de prophète, de clef capable d'ouvrir le coffre de son bonheur.
Mais je ne suis pas une envoyée de Dieu. Pourtant j'aimerai.
J'aimerai vraiment être celle qu'il attend ! J'aimerai les avoir, toutes ces solutions qu'il attend de moi. Mais je n'avais pas prévu ça moi, moi j'avais prévu de retrouver Claudia. Et puis j'aurai improvisé. Sauf que d'après lui j'ai tout planifié. Comme si je savais déjà tout. Or je ne savais pas tout.
Je ne savais pas qu'il existait
, je ne savais pas qu'elle dansait dans les bars, ni qu'elle était amoureuse d'un homme amoureux d'elle.  Alors de là à savoir quoi faire…
Il me faudra le guider pour trouver mon propre chemin. C'est juste ça.
Tout est simple, tout parait compliqué. Il suffit de trouver le bon angle de vue.

Haha !
C'est ce qu'il me fallait. Ils sont biens bon ces hommes là ! Se laisser amadouer par une belle paire de seins négligemment exposés, ça ce sont des mâles ! Des vrais ! Magnifique !
Ce monde est magnifique !
Et moi je vais danser ! Haha ! Regardez moi ! Maman ! Maman regarde-moi je vais danser !
Franck ! Ô Franck toi qui n'est pas là pour comprendre ! Regarde ! Regarde je danse !
Et je m'en tue, et je n'en vois plus les autres. Et quels autres d'abord ? Ceux qui bandent et qui baisent, ceux qui fument des gitanes, et ceux qui me reluquent de haut en bas ? Ceux qui louchent sur mes bas et bavent devant le creux de mes seins ? Ceux-là ?! Mais ils n'existent pas ceux-là ! Ils ne sont pas là ! Ils sont si loin ! Et moi je suis si haut, je suis si volante, si légère sur mes jambes, si transparente sur mes jolis talons bleus ! Si autre, et si bien !
Parce que mes hanches s'accordent au bruit, parce que mes yeux se dessillent sans raison, sans rien voir. Parce que je ne sais pas quoi être, mais jmen fous ! Je danse juste, j'attise le feu et je fais éclater leurs couilles. Bande de pervers. Et moi je gagne du fric en jouant à leur jeu. Je suis le fantasme qu'ils ne pourront jamais se permettre.
Parce qu'ils ont les yeux qui brillent pendant que leur femme couche les enfants.
Et moi je ne suis personne, parce que moi haha ! Moi je vole, moi je ne les vois pas, moi je suis droguée ! Oh ! Je suis droguée ! Haha ! Une belle putain de junkie, une superbe gogo danseuse aux formes abondantes. Je suis ce qu'elles voudraient toutes devenir ! Je suis cette fille qu'elles envient toutes ; je suis la quatrième de couverture des magasines de mode. Je suis la fille de l'arrière boutique.
Celle qui danse, celle qui oublie le monde, celle qui se drogue, celle qui baise, celle qui n'est personne parce qu'elle ne sait pas qui être. Celle qui ne cherche plus rien et qui trouve toujours tout.
Celle qui a osé foutre sa vie en l'air au nom de l'extase !
Moi ! Moi Claudia ! Une vingtaine d'année dans les yeux et des jupes plus courtes que tout ! Moi ! Moi ! Moi qui danse ! Moi devant laquelle ils sont à genoux ! Moi…

Moi qui ralentit mes mouvements aux rythmes de la musique. Moi qui ne sais plus aimer. Moi qui écoute des BO de films seule dans mon studio miteux, un verre de vin rouge à la main et une cigarette fumante dans le cendrier. Moi qui fais tout pour oublier. Moi qui deviens une autre, parce que j'en ai juste marre d'être moi. Moi qui change de vie la nuit parce que je n'aime pas ce que je suis.

Ce que je suis…
Mais qu'importe ! Ô qu'importe Claudia ! Si tu danses, si tu danses, si tu danses…
Alors je danse. Ô God ! Je danse…

Et toi mon aimé ! Toi qui n'est pas là pour me voir. Toi qui m'as fais passer de si douces nuits ! Toi qui connais si bien les chemins de mon corps. Toi qui m'a fait naître des étoiles dans les yeux et dans mon bas ventre. Toi qui as su m'y faire croire.
Toi qui n'es là ni pour me plaindre, ni pour m'admirer. Toi qui ne pourras jamais me comprendre.
Ô mon aimé, mon tendre aimé ! Toi qui me parait si loin. Toi qui n'est pas là.
Juste pas là. Toi pour qui je ne peux pas danser.
… Pour qui je ne peux pas danser.

Mercredi 14 novembre 2007 à 20:21

« Je l'ai détestée. Si vite que je l'avais aimée, je me suis pris à la haïr, pendant quelques minutes j'aurai voulu me lever et lui cracher dessus. Une putain. Voilà comment je la voyais. Comme une pute, une sale pute, qui sait rien faire d'autre que de bouger son cul.
Et je sais oui, que ça craint d'utiliser ces mots là. Mais y avait que ceux là dans ma tête. Et ça empirait tout. Parce que ces quelques minutes de haine se sont dissipées. Et je l'ai aimée comme avant, en plus prenant encore, parce que cette fois elle était en face de moi. Et si on mettait de côté sa poitrine assez…protubérante, si on oubliait ça, et puis si on l'imaginait un peu plus habillée, pieds nus aussi… Enfin bref, moi jsuis quand même parvenu à la revoir comme avant. Belle, pas juste bonne. Mais belle.
Elle avait coupé ses cheveux mais c'était comme si je les voyais encore tournoyer autour d'elle.
Jme suis souvenu à quel point j'avais été bien avec elle, à quel point je l'avais aimé, à quel point je l'aimais.
Mais elle avait changé, ça sautait aux yeux. Et quand même Lou, une fille comme ça semble pas être une fille bien. Alors c'était comme si je l'avais perdue pour de bon tu vois, comme si l'image que j'avais d'elle venait de se dissoudre. Et le pire dans tout ça, c'est qu'elle m'a vu. Elle m'a vu et elle m'a sourit.
J'ai apprécié parce qu'elle me souriait pas comme à tous les autres. Parce qu'elle m'avait reconnu.
Mais elle a passé sa langue sur ses lèvres, et c'était trop dur. C'était malsain. C'était pas ma Claudia.
Alors je suis sortis, limite en courant.
Et j'ai vomis dans le caniveau.
C'est grave hein ?
Mais jpouvais pas lutter.
Et je l'ai revue le lendemain. Elle fumait. Et elle avait un style du genre femme fatale. Elle tenait sa clope du bout des doigts et elle crachait la fumée les lèvres en cul de poule, le menton levé. Elle battait des cils, et j'aimais bien la manière qu'elle avait de faire tomber la cendre dans le cendrier.
Elle était assise là, à ta place.
Jlui ai demandé de m'expliquer c'qui s'était passé. Elle m'a expliqué l'histoire, en concis. Vite fait bien fait.
   Je pars, elle est seule avec Louis, il vieillit, il a de moins en moins de forces, elle est seule, Louis meurt, elle se tire, elle accepte le premier job qui lui tombe sous la main, elle s'installe ici, elle y reste.
Et puis il y a ce qu'elle n'a pas dit. Je sais qu'elle se drogue, je sais qu'elle boit trop, qu'elle couche un peu n'importe où avec n'importe qui, je sais qu'elle fume trop et qu'elle a beaucoup de charme pour un si petit bout de fille. Parce qu'elle joue la forte, mais je sais bien à quel point elle est restée fragile. Certaines plaies ne se referment jamais. Et cette plaie là, qui la ronge, qui l'a pourrie de l'intérieure, cette plaie qui la fait fumer des drogues douces, c'est moi.
Je suis sa douleur. Je suis celui qui l'a blessée à l'heure où elle s'y attendait le moins.

Et puis voilà. Elle m'en veut, et elle me manque. J'arrive pas à lui dire, j'arrive pas à la voir tout à fait comme avant. Je sais pas quoi faire. Et pourtant, elle m'a dit qu'elle m'aimait, elle m'a dit qu'elle voulait que je l'aime. L'ennui c'est qu'elle était défoncée. Et que j'ai pas su répondre ce qu'il fallait apparemment.
Et puis après t'es venue t'asseoir en face de moi. Et jme suis dit que toi, toi peut-être tu saurais quoi faire. »

Mardi 13 novembre 2007 à 19:07

« Franck ? »
Elle me regardait la tête inclinée, et moi je balbutiais, j'avais le regard flou, les larmes aux yeux. L'émotion était trop forte. Une mixture de culpabilité, de regrets et d'incompréhension. Jcomprenais plus ce type qui avait laissé derrière lui tout le bonheur de sa vie. C't' abrutis qui avait enfin trouvé une fille à tomber par terre, qui avait su prendre une place dans son cœur et qui l'avait ensuite laissée toute seule avec son vieil oncle. Et le pire dans tout ça, c'est que ce connard, et ba c'est moi. Voilà Franck, ce que c'est que de dévoiler sa vie à une inconnue, ça fait comme la voir de haut. Jsuis un type dégueulasse. Mais j'ai pas fais marche arrière, j'ai continué ma tragique histoire.
 

« Et dès que t'es seul, c'est plus dur. Alors pour elle c'était invivable jcrois. Et moi j'étais pas là Lou, j'étais trop loin. Et elle savait pas quoi faire, elle pouvait pas me joindre et même, je voulais pas qu'elle le fasse, jvoulais pas qu'elle y parvienne, jvoulais qu'elle s'en sorte, mais toute seule. Jvoulais pas qu'elle dépende de moi, pasque c'était comme dépendre d'elle.
 Alors je sais bien que c'était le cas, que c'est toujours le cas d'ailleurs. Je dépends d'elle, mais jvoulais pas. Pasque le plus important pour un type dans mon genre c'est d'être libre tu vois, et jpartais du principe qu'on pouvait pas être libre et aimer une fille en même temps. »

J'ai fais une pose. Je l'ai regardée, mais je la voyais pas. Je voyais la vitre derrière elle, et dans cette vitre mon reflet. Un bel homme de la buée sur les yeux. Je suis quelqu'un de flou. Pas foutu de faire les bons choix. Claudia a raison de m'en vouloir, j'ai pas su devenir un adulte responsable. Jsuis critiquable. C'est tellement risible toute cette merde.
Tout ce moi.
Et puis j'ai décalé mes yeux pour les poser sur les siens. Lou. Lou est-c'que tu me vois comme jme vois Lou ? Est-ce que jsuis vraiment un tel enfoiré ?
Et elle a répondu cette jolie fée :
 « T'as le droit de t'en vouloir Franck. »
Pourtant y avait aucune once d'agressivité dans ces yeux, elle fronçait à peine les sourcils. Oh bien sur ! J'ai vu qu'elle n'était pas très contente, qu'elle réfléchissait, sûrement.
 « Mais t'as pas le droit de culpabiliser si longtemps après. »
Je la regardais. Et puis jme suis rendu compte que j'avais la bouche entrouverte. Alors j'l'ai fermée.
Et elle m'a demandé de continuer, en sirotant sa grenadine à la paille elle tenait ses yeux rivés sur moi, les joues creusées par l'inspiration. Et je voyais le liquide rose grimper jusqu'à ses lèvres à travers la clarté du tube en plastique rayé.
 « Mais jme trompais.
Alors je savais pas ce qu'ils devenaient tous les deux. Et je voulais m'en foutre. Jle voulais ! J'ai choisis de les mettre de côté, tout juste si je voulais pas les oublier. Comme s'ils étaient des fardeaux. Et jme suis fait embauché dans une entreprise, parce que…pour mon physique je crois. Et puis j'ai su gravir les échelons, j'ai su faire les bons sourires aux bonnes personnes et utiliser les bons mots pour flatter les hauts gradés. Et je les ai rejoints ces dits « chefs ». Jsuis arrivé presque en haut de l'échelle à une vitesse incroyable, et à chaque barreau grimpé, on ajoutait un zéro à mon salaire. Tu vois Lou, jsuis quasiment riche. Mais j'ai pas ce que je veux. Jsuis sensé être ici pour régler une affaire, mais je l'ai réglée depuis longtemps. C'est sans importance maintenant. Parce que ici, j'ai trouvé ce que je voulais. J'ai trouvé ce que j'avais eu, ce qui me manquait et ce qui me manque. Ici j'ai retrouvé Claudia.
 Alors il faut que je reste. 
Je l'ai retrouvée un soir au hasard. Je l'ai vue dans la rue mais j'étais pas sur. Parce qu'inconsciemment je savais bien que je la voyais partout alors qu'elle y était pas. C'était sûrement une de ces filles qui ont la même démarche. Et cette fille que je suivais ; cette fille comme toutes les autres que j'avais réussit à mettre dans mon lit parce qu'elles lui ressemblaient ; celle-ci en particulier, on aurait dit une jumelle. Une deuxième Claudia. Je l'ai suivie et puis elle est entrée dans un bar à quelques rues d'ici. Elle était gogo danseuse. Et je l'avais vu que de dos. Claudia pouvait pas être devenue gogo danseuse. C'était pas possible.

Parce que ma Claudia elle dansait en tournant sur elle-même au milieu d'un champ de coquelicot pendant que je jouais du violon. Ma Claudia savait faire de la soupe en pelant des légumes, elle connaissait le nom des oiseaux et savait reconnaître un rouge-gorge mâle d'un rouge-gorge femelle. Elle cueillait des fleurs pour les mettre sur la table, elle chantait sans s'en rendre compte. Ma Claudia elle portait des robes qui lui tombait aux chevilles et qui embrassaient ses hanches. Elle rougissait quand je posais trop longtemps mes yeux sur elle quand je la voyais nue. Ma Claudia était tout ce qu'il y avait de plus pur.
 Elle pouvait pas danser en talons aiguilles, les jambes dénudés jusqu'à l'aine, devant une bande d'ivrognes !
Et pourtant Lou, même à la lumière blafarde de ces putains de boîtes, je l'aie reconnue. Je l'ai reconnue quand j'ai vu ses yeux. Ses yeux bleus tu sais ! J'ai su que c'était elle, que c'était la vraie.
Et j'ai été dégoûté. Dégoûté d'elle. De la retrouver comme ça, dans de telles positions, si dévêtue, si exposée. Comme un tas de viande devant lequel ils bavaient tous. »

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